Σάββατο 30 Απριλίου 2022

Yannis Yannopoulos, Cittadini, les snobs de la périphérie vénitienne.

 

Γιάννης Γιαννόπουλος, Τσιταντίνοι, οι snob της βενετικής περιφέρειας: Δοκίμιο εννοιολογικής και κοινωνικής ιστορίας, Αθήνα, Παπαζήσης, 2011, 648 σελίδες

Yannis Yannopoulos

Cittadini, les snobs de la périphérie vénitienne.

Essai d’histoire conceptuelle et sociale

(résumé)

 

Nous nous limitons ici à de simples remarques méthodologiques

relatives au mode de pensée des historiens qui entreprennent

d’étudier le régime institutionnel d’une région grecque sous

domination vénitienne. Ils recherchent les sources les plus

opportunes, originales et secondaires, reformulent probablement

leur question initiale selon les données empiriques des

sources et aboutissent à une réponse. Toutefois, dire que l’on

peut éviter une réponse incomplète en la cherchant dans des

études connexes qui concernent d’autres régions ou, de façon

bien plus efficace, en examinant à quel point une institution

constitue un élément de l’histoire vénitienne, est un lieu commun.

Dans ce cas, la probabilité d’apporter une réponse à des

questions relatives au sens exact et d’ordinaire en évolution, ou

totalement différencié, des termes, augmente de manière significative.

Il est évident qu’aucun historien ne peut se contenter de

leur sens premier ou accepter inconsidérément les significations

parfois chargées d’opportunités idéologiques des sources originales

et secondaires. C’est dans cette direction, en outre, que des

chercheurs, qui constituent l’école allemande relative à l’étude

des concepts historiques, ont développé ces dernières décennies

une branche particulière de l’histoire politique et sociale, appelée

histoire conceptuelle.

Dans cette étude, tout ou presque dépend du degré de compréhension

d’une série de notions telles celles d’ordine, commune /

comunità, repubblica, nobile, cittadino, etc. Du fait de l’altération

du sens de certains termes, qui concernent les îles Ioniennes

et Cythère durant les siècles de la domination vénitienne,

comme, bien sûr, d’autres lieux occupés par les Vénitiens, on

 

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continue à reproduire les stéréotypes régionalistes et autres, et à

empêcher ainsi l’acquisition d’une conscience historique bien

définie. Avec l’élargissement de l’horizon méthodologique, si évident

et pourtant indispensable, avec l’étude du système des

ordres de l’État vénitien et, en général, des institutions telles

qu’elles ont été formées à partir du XIe siècle dans les villesÉtats

du nord et du centre de l’Italie et, plus largement, du nord

et du centre de l’Europe, on peut comprendre plus facilement ce

qu’il en est vraiment et on est plus à même d’atténuer et/ou

d’ôter le poids engendré par la création de mythes régionalistes.

En raison de cette forte tendance régionaliste à créer des

mythes, les chercheurs de l’histoire vénitienne n’ont pas donné

jusqu’à présent une image complète du système des ordres vénitiens.

Durant cinq siècles à Venise, de 1297 à 1797, un petit

nombre de Vénitiens, réduit si on le considère par rapport à

l’ensemble de la population de la ville, assurait de façon continue,

pour eux-mêmes et pour leurs descendants, le privilège

absolu et exclusif de la participation au grand Conseil (maggior

consiglio) de la ville, duquel découlaient tous les autres pouvoirs

et institutions. Les membres de ce conseil, de sexe masculin, à

partir de vingt-cinq ans, ou parfois même dès vingt ans, en tant

que seuls véritables citoyens (cittadini), en tant que gouvernants

de l’État, choisissaient leurs égaux et étaient élus par ces

derniers dans tous les autres conseils gouvernementaux, tout

comme dans les fonctions administratives et, en même temps,

dans toutes les magistratures des périphéries; ils votaient les

lois, se définissaient eux-mêmes comme le premier ordre et

comme nobles (nobili), jouissaient d’importants privilèges économiques,

et c’étaient eux aussi qui décidaient de l’octroi des

titres et des privilèges. À tous les autres habitants de la ville et

des villes assujetties, ils refusaient obstinément d’attribuer la

possibilité d’être représentés parmi les organes gouvernementaux

de l’État. En concédant trois sortes de privilèges économiques

à des habitants de Venise, ils créèrent trois groups sociaux

différents de cittadini. En outre, à l’un d’eux, celui des

citoyens originaires (cittadini originari ), ils octroyèrent le privilège

de l’accession aux places importantes de la bureaucratie del’État.

Furent également appelés cittadini par ceux qui gouvernaient

l’État les membres des conseils périphériques dans chaque sièg

 

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de l’administration vénitienne périphérique. Ces conseils furent

créés ou - quand ils existaient déjà - fonctionnèrent sur la

base de statuts (per statuta) qu’établissaient ensemble, toujours

dans la logique de ceux qui gouvernaient, l’État (d’habitude le

sénat) et les représentants de la périphérie. Tous les cittadini,

aussi bien de la ville même de Venise que des centres périphériques

assujettis constituaient le deuxième ordre (secondo ordine)

de l’État. Les centres de la périphérie, où était établi le siège

des autorités vénitiennes, pouvaient être des villes (città), des

«presque ville» (terre) ou de simples châteaux (castelli). Ce

deuxième ordre était lui aussi limité par rapport au troisième,

celui du peuple (popolo) de Venise, des centres périphériques et

des villages de la campagne (contado) de chaque périphérie.

Ceux qui appartenaient aux deuxième et troisième orders (secondo

e terzo ordine) n’avaient aucun droit de participer à la prise de

décisions gouvernementales et à l’élection des dignitaires de l’État.

Les chercheurs de l’histoire vénitienne se réfèrent d’habitude

au développement de ces ordres dans la ville de Venise. À notre

connaissance, il n’existe pas d’étude plus complète qui indique

auquel des trois ordres appartenaient ceux qui prenaient part

aux conseils des villes assujetties, en particulier celles des provinces

continentales de Venise, de la terre ferme (Terraferma).

Ces derniers, même s’ils prétendaient et proclamaient sur tous

les tons être des nobles, étaient pour les nobles vénitiens (nobili

veneti), gouvernants de l’État et seuls à conférer les titres, de

simples cittadini. Le titre de cittadino était honorifique au plan

de la périphérie. Les membres des conseils périphériques constituaient

l’aristocratie locale (dans le sens large du terme) et, en

commun avec l’administration vénitienne, ils prenaient des décisions

concernant des questions de caractère auto-administratif,

occupaient durant leur mandat des postes administratifs prévus

par les statuts et, surtout, se distinguaient de la grande masse du

troisième ordre, celui du peuple.

Ceux qui étaient des nobles des centres de la périphérie de

Venise avant la conquête vénitienne faisaient valoir leurs titres,

sans que personne ne les empêche de les invoquer. Les membres

des conseils locaux qui ne possédaient pas de titres de noblesse

héréditaires n’hésitaient pas non plus à se projeter en tant que

nobles. Pour les nobles vénitiens, cependant, ces assertions

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totalement dénuées de sens. Les titres, dans l’État vénitien,

comportaient certaines attributions. «Nobili», pour ceux

qui gouvernaient l’État, étaient uniquement ceux qui participaient

au grand Conseil de Venise. Même les nobles de Chypre,

issus du précédent régime des Lusignan, à Nicosie, capitale de

l’île, bien qu’ils conservassent quelques privilèges de leur élection

à une ou deux places d’importance auto-administrative,

furent eux aussi, avec les cittadini, des membres du conseil de la

ville. Exceptionnellement en Crète, après sa conquête, une partie

de ceux qui avaient été envoyés de Venise au XIIIe siècle,

étant donné qu’ils provenaient de familles qui constituèrent les

nobili veneti après 1297, acquirent eux aussi le même titre. Lors

de leur retour à Venise après la reddition de Khandak (Candie)

aux Ottomans en 1669, ils furent à nouveau admis de plein droit

au grand Conseil. Par contre, il fut décidé que les Vénitiens ou

non-Vénitiens qui avaient constitué en Crète une noblesse de

second rang, la nobiltà cretese, seraient admis à Venise et dans

les grandes villes de la périphérie en tant que cittadini.

Malgré la position inflexible de ceux qui avaient le droit de

participation au grand Conseil de Venise, les cittadini de la périphérie

vénitienne, ces snob (< sans noblesse, sine nobilitate), qui

persistaient à se définir comme nobles, et, bien qu’ils ne rompaient

pas leur relation avec l’État, revendiquaient la possibilité

d’une ascension et d’une évolution sociales à des dignités susceptibles

d’accroître leur honneur, leur réputation et celle de leur famille,

ou même d’assurer leur participation au gouvernement de l’État.

Venise n’accordait qu’à un très petit nombre de cittadini de

chaque périphérie le titre de comte, pour d’importants services

rendus à l’État, ou lors de l’attribution d’un fief, et ce en outre

contre le versement d’une somme déterminée. Mais ce titre,

cependant, bien qu’honorifique, n’était qu’un titre nominal,

puisque celui qui l’obtenait continuait à appartenir au deuxième

ordre et participait à rang égal au conseil de sa région.

À la tendance vaniteuse et arrogante des cittadini de la périphérie

vénitienne de se faire valoir comme nobles, il faut rattacher

leur insistance à appeler «livre d’or» (libro d’oro) le livre

tenu par les autorités vénitiennes périphériques et/ou par le

conseil local des cittadini, appelé de manière officielle tout simplement

«livre» ou «livre du conseil». Un livre où étaient enre-

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gistrés les mariages et les naissances d’enfants légitimes était tenu

par les nobles vénitiens à Venise ou par les cittadini dans les

centres administratifs de chaque périphérie, pour une raison

qui n’honorait ni les nobili ni les cittadini, à savoir pour prouver

que leurs descendants mâles (fils) étaient nés d’une union légitime

avec une femme de condition honorable (di onorata condizione).

Ce livre, par tendance à la mythification, apparut

comme un livre d’or, comme un livre qui, dès le moment où leur

nom y était inscrit, acquérait une valeur supérieure, comme l’or!

Les îles de la mer Ionienne et Cythère formèrent, après la

prise de l’État vénitien en 1797 et après l’occupation temporaire

française de 1797 à 1799, presque un État suzerain appelé République

de l’Heptanèse (constitution de 1800) puis, plus tard, un

État sous protectorat anglais appelé État Ionien (constitution de

1817). Avec une série d’ordonnances, d’abord de la constitution

provisoire de 1799 et surtout de la constitution de 1802, il fut

octroyé pour la première fois à un certain nombre d’habitants de

l’État le droit de citoyen et, avec lui, le titre de nobile, lequel

avait été refusé si opiniâtrement par Venise dans le passé. La

constitution anglaise de 1817 se contenta d’agréer les dispositions

de la constitution de 1803. Ce que celle-ci appelait nobiltà

costituzionale, laquelle fut abolie tout de suite après la réunion

des îles à la Grèce en 1864, assurait surtout le droit du citoyen et

n’avait pas le lustre de la noblesse d’antan. Désormais, pour l’acquérir,

il n’était plus nécessaire de présenter la preuve de trois

générations de civilité (tre gradi di civiltà) avec pour caractéristique

principale le non-exercice d’un métier manuel (arte mecanica).

Il suffisait à l’intéressé, pour être déclaré citoyen et nobile,

de postuler le titre et de prouver qu’il disposait d’un certain

revenu (prévu par la constitution et provenant d’une décision de

l’administration locale — de chaque île — ou de la loi électorale)

ou d’une formation universitaire. C’est de toute évidence

consciemment que le législateur constitutionnel, pour éviter ou

du moins tempérer les forfanteries des nobles, appela le livre où

étaient consignés leurs noms non pas libro, mais registro

(«registre»), catalogo, elenco («catalogue», «répertoire»)

(constitution de 1803), lista («liste») (constitution de 1817).

Malgré cela, l’attribution du titre de noblesse à un certain

nombre d’habitants eut comme conséquence de renforcer, sans

qu’elle soit fondée, la conviction que sous la domination véni-

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tienne aussi, les membres des conseils dans chaque île étaient des

nobles.

Une autre question longuement traitée dans cette étude est

celle de savoir si, dans les centres périphériques de l’État vénitien,

il existait des communautés urbaines. Dans la bibliographie

internationale, et bien que dans les sources les conseils de

citoyens dans ces centres soient d’habitude mentionnés comme

communauté (comunità) ou comme conseils de la communauté

(consigli della comunità), il n’est jamais question de communautés

urbaines. En revanche, il y a des études consacrées aux communautés

de village, qui existent effectivement (souvent, c’est le

terme comune qui est utilisé pour les désigner, aussi bien dans

les sources que dans la bibliographie). Dans l’historiographie

grecque, cependant, étant donné que le terme vénitien comunità

a été rendu littéralement, il est question de communautés

urbaines, même si dans les centres administratifs de la périphérie

les conseils de citoyens ne constituaient pas une institution

équivalent à la communauté (κοινότητα). Et ceci car la distinction

des habitants de chaque centre administratif périphérique

en cittadini et popolari a empêché l’existence de communautés de

ville susceptibles d’exprimer l’ensemble de leurs habitants, et

encore bien davantage de communautés susceptibles d’exprimer

toute la population de la périphérie. Un cas caractéristique est

celui du Péloponnèse où, durant les trente années de domination

vénitienne (1685-1715), furent formés seize conseils de citoyens

(consigli di cittadini). Comme les habitants de ce «royaume»

(regno) n’avaient pas l’expérience de la division de la société en

ordres (ordini), l’institution de ces conseils fut une cause essentielle

de mécontentement et de rupture de la cohésion sociale.

 

 

 

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